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12/05/2014

"L'Occident" et l'esclavage, aujourd'hui et hier : remarquable point de vue de Jean-Joseph Boillot...

...ce matin à Radio Notre-Dame :

 


Professeur agrégé de sciences sociales, expert de l'Inde et disciple de Gandhi, partisan d'une''économie non-violente'', co-fondateur de l'Euro-India & Business Group, auteur de L’Inde pour les nuls (First), Jean-Joseph Boillot était ce matin l'invité de Louis Daufresne pour parler notamment des élections en Inde : écouter  ici

 

...Mais cet entretien s'est étendu à l'économie mondiale. Boillot a notamment expliqué  :

- que le candidat national-populiste Narendra Modi, instigateur des pogroms anti-musulmans, est l'âme damnée du turbo-capitalisme et le saccageur de l'environnement de l'Etat du Gujarat ;

- que le Bangladesh a été arraché au modèle gandhien des petites usines décentralisées, pour devenir l'atelier d'esclaves des multinationales de l'hémisphère nord ;

- que le phénomène politique nouveau en Inde est l'apparition d'un parti gandhien qui critique radicalement le modèle économique mondial et demande à quoi sert la croissance, cet axiome obsessionnel qui n'est pas la réponse au mal-être et au chômage ;

- que notre propre société, mue exclusivement par le culte de l'argent, a une lourde responsabilité. Ainsi le grand capital mondial a encouragé le modèle chinois, l'entrée de la Chine à l'OMC ayant été imposée par le lobby occidental qui voulait délocaliser... D'où autodestruction écologique en Chine (et destruction de pans entiers de l'économie française, par exemple) ;

- que notre post-démocratie est dominée par de petits groupes d'intérêts très organisés : par exemple, le lobby biotechnologique vient d'amener l'UE à accepter un médicament d'élevage (américain) très dangereux, qui a provoqué la mort des vautours en Inde ;

- et que l'urgence du bien commun est de ne pas laisser la spéculation déterminer la forme des sociétés  : « il faut une régulation mondiale pour que l'homme ne devienne pas l'esclave des marchés. »

2. Venant sur ce sujet de l'esclavage, et évoquant l'affaire Mariani, Jean-Joseph Boillot souligne ce que nous avions souligné nous-même ici durant ces derniers jours : il est aussi néfaste de nier en bloc les fautes du passé (attitude des soi-disant ''réacs'') que de réduire le passé à ses fautes (attitude des soi-disant ''progressistes''). Et si l'on tient à parler d'esclavage, n'oublions pas l'esclavage économique qui frappe des millions de nos contemporains - et dont ''l'Occident'' est directement coupable.

Les idées de Boillot  sur cette question :

- Il ne faut pas chercher à « dédouaner la responsabilité historique des Européens dans la mondialisation de l'esclavage sur un plan industriel ... »

- On ne peut pas s'en tirer (« comme on l'entend trop souvent ces temps-ci ») en disant : « l'esclavage ce sont les Africains et les Arabes ». Il faut, d'une part, se souvenir que « l'esclavage était le mode de production dominant dans l'histoire de l'humanité... C'est une question universelle qui regarde l'humanité, et non des races ou des régions du monde ». D'autre part, il faut constater que l'Occident – ou plutôt l'Europe – a une « responsabilité majeure » : « c'est la seule zone qui ait osé penser l'internationalisation de l'esclavage. Bordeaux et Nantes ont fait leur fortune autour de ça, même l'empire romain n'avait pas à ce point transformé la planète.... Les Américains allaient chercher des hommes en Chine pour les faire travailler sur leurs chemins de fer, en situation d'esclaves aux côtés des Noirs... L'Occident a un devoir d'explication : l'Europe a inventé aux XVIIIe et XIXe siècles un abominable système d'exploitation de la force de travail... La perception que l'Afrique et l'Asie ont de l'homme blanc reste marquée par la mémoire de cet esclavage. »

Quant au système économique et financier du turbo-capitalisme (l'argent pour l'argent, l'homme jetable), Boillot le démonte avec lucidité :

« L'Europe a apporté des choses positives mais massacré la planète. L'Occident est responsable de 80 % des gaz à effet de serre accumulés depuis la révolution industrielle liée aux Lumières... Avant les élections européennes, les Européens doivent admettre que ce qu'ils font a un impact sur reste du monde... L'Europe doit proposer au monde une réconciliation de la démocratie politique et d'un système économique respectueux de l'homme et de l'environnement. En ce moment on tourne en rond : c'est l'économie pour l'économie.... Mais la croissance pour quoi ? Notre système va dans le mur, et l'Europe, continent le plus riche du monde, ne semble pas capable de trouver une alternative. »

 

Voilà de quoi remettre en perspective le pseudo-débat (hystérisé à droite) autour du tweet de Mariani, qui a eu l'indécence de se servir du drame du Nigéria pour dédouaner « l'Occident ». Encenser le passé est aussi absurde que de le condamner en bloc. Dire que notre histoire se réduit à ses heures sombres est une folie, mais nier que notre passé ait une face sombre est une autre folie. Et un péché grave, du point de vue chrétien.

Dans cet ordre d'idées, Blaise nous a envoyé le commentaire que je reproduis ici :

<< Notre capacité à porter un regard lucide sur notre passé ne s’oppose pas à notre responsabilité éthique pour le présent ; bien au contraire, l’acte de mémoire et l’engagement, en tant que sujets justiciables de nos propres actes, sont indissociables : le type de rapport que nous entretenons avec notre passé influe directement sur notre façon de nous comporter, d’agir et de penser à l’avenir. William Cavanaugh donne un exemple concret et stimulant de ce que signifie faire pénitence pour les fautes commises dans le passé : «  La torture fait partie du passé chrétien. D’un point de vue catholique, l’Eglise doit faire pénitence pour l’Inquisition. Mais de quelle manière ? Je propose que, pour l’Inquisition, elle s’élève contre la torture, telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui, et qu’elle s’y oppose. L’examen de conscience qui précéderait cette pénitence devrait inclure le rejet de tous les moyens que nous prenons pour essayer de ne pas reconnaître nos propres péchés. Le moyen le plus important que nous prenons à cet égard est de tenter de prendre nos distances avec la torture pour la reléguer dans le passé ou dans le camp, éloigné, de l’Autre. L’aveu de notre péché nécessite que nous reconnaissions non seulement que la torture a été pratiquée en notre nom, mais également que seul Dieu est Dieu, et non pas un Etat-nation qui prétend nous sauver du mal. Les chrétiens adorent un Dieu qui a été torturé à mort par l’Empire. C’est ce Dieu qui sauve en renonçant, sur la croix, à la violence. » (in Migrations du sacré, éd. L’Homme Nouveau,2010, p. 144.) >>

 

  

Commentaires

MOYEN ÂGE

> Un point important que l'auteur ne mentionne pas: le Moyen âge abolit l'esclavage, qui sera remis en vigueur "grâce" à la Renaissance.
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Écrit par : Ludovic / | 12/05/2014

UNE ANALYSE HISTORIQUE COMPLÈTE

> J'ai bien entendu le propos de M. Boillot sur RND (FM 100.7 !) et il m'a convaincu sur la spécificité diabolique de l'esclavage occidental en ce qu'il avait industrialisé la chose et, bien qu'il n'a pas duré aussi longtemps, son empreinte a néanmoins été dévastatrice dans les consciences des pays victimes.
La seule chose que je redoute à propos de ces commémorations que j'ai toujours souhaitées, est qu'elles ne soient pas accompagnées d'une analyse historique complète et se réduisent à une image en noir et blanc, les noirs contres les blancs.
Un monsieur fait visiter le Bordeaux négrier et, dans l'article relatant une de ses conférences, une jeune française d'origine africaine réagissait en disant "je comprends que ma mère me dit de me méfier des blancs".
J'entends la souffrance derrière cette attitude, mais il convient de dire que ce ne sont pas les blancs qui ont réduit en esclavage les noirs, mais des blancs (un pouvoir et une élite), et des noirs (sans doute stimulés par la demande occidentale certes).
Quelle était la part d'adhésion du peuple français majoritairement rural et métropolitain, je l'ignore, mais en tant que descendant d'ouvriers et paysans j'ai du mal à me voir relégué du fait de ma couleur au rang de négrier ou complice.

En tout cas tous ces points mériteraient d'être étudiés et divulgués très largement je pense. Sans cette prudente circonspection, une partie des français risque de ne pas adhérer, d'ignorer les faits ou de verser dans une atténuation cynique des faits.
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Écrit par : DV / | 13/05/2014

@ Ludovic

> Il n'y a pas eu d'« abolition » de l'esclavage avant la fin du XVIIIe siècle. Dans l'Europe médiévale, ce qui s'est passé, c'est l'extinction progressive des ressources et des besoins en esclaves - à l'exception du pourtour méditerranéen, en contact avec l'Islam. Et encore, n'idéalisons pas trop la situation : le servage, qui n'est définitivement aboli qu'au XIXe siècle, était une forme adoucie d'esclavage.
______

Écrit par : Blaise / | 14/05/2014

OUTILS

> Factuellement, il est vrai que " L'Occident est responsable de 80% des gaz à effet de serre accumulés depuis la révolution industrielle liée aux Lumières..."
Mais que serait-il arrivé si la cartographie maritime, la thermodynamique, l'électromagnétisme, l'optique ou la mécanique quantique avaient été découvertes ailleurs?
Les 80%, est-ce parce que nous étions pire que les autres ou est-ce simplement que nous en avions les outils?

PH


[ PP à PH - Pourquoi dire "pire que les autres" ? Les faits suffisent... Quant à la prévalence de l'outil sur la personne, voir le chapitre 11 de la Genèse : "allons, fabriquons des briques et mettons-les à cuire", etc. La révolution technique (les briques) produit aussitôt la démesure humaine ("faisons-nous un nom pour ne pas être disséminés sur toute la surface de la terre"), d'où la tour de Babel ("dont le sommet soit dans les cieux"). ]

réponse au commentaire

Écrit par : Pierre Huet / | 14/05/2014

@ PP

> La technique produit-elle la démesure ou, simplement, révèle-t-elle de nouveaux effets du péché originel qui, comme des gènes, n'avaient le milieu leur permettant de s'exprimer ?

PH

[ PP à PH - C'est un débat. Mais pourquoi le voir en forme de "ou bien", ou bien" ? ]

réponse au commentaire

Écrit par : Pierre Huet / | 14/05/2014

CHESTERTON

> Comme disait Chesterton :

" L’Église catholique est la seule chose qui empêche vraiment un péché de demeurer secret."
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Écrit par : JG / | 14/05/2014

@ PP

> Parce que, la technique (et la science), ne sont que des accumulations de connaissances rationnelles ou empiriques qui n'ont pas, en elles-mêmes, de pouvoir de décision.
Dans la Genèse (vu, avec de bonnes lunettes: Bible de Jérusalem, Traduction oecuménique dite TOB, et traduction de Chouraqui) rien n'indique que les bâtisseurs de la Tour aient inventé la brique cuite. Ils décident simplement d'en utiliser.

PH


[ PP à PH - Précisément : l'outil tient lieu de projet ! C'est déjà la technolâtrie. Et c'est l'interprétation que les talmudistes donnent du mythe de Babel : cf 'Commentaires sur la Torah' de rabbi Jacob ben Isaac Achkenazi de Janow, XVIIe siècle (Verdier 1987), et 'Pirqé de-rabbi Eliezer', section I (IXe siècle). ]

réponse au commentaire

Écrit par : Pierre Huet / | 14/05/2014

@ PP

> Dans ce sens là, oui, mais c'est déja un choix humain.
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Écrit par : Pierre Huet | 14/05/2014

RELÉGUÉS

> " j'ai du mal à me voir relégué du fait de ma couleur au rang de négrier ou complice. "
"le peuple déicide" / "le blanc esclavagiste" ?
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Écrit par : E Levavasseur / | 14/05/2014

@ E Levavasseur

> A mon sens, il ne s'agit pas de faire peser le poids d'une culpabilité collective, et encore moins d'une "punition collective" sur qui que ce soit, mais (1) de faire mémoire, de nous souvenir; (2) assumer pour le meilleur et pour le pire que les péchés personnels et collectifs comme les actes de charité et de justice du passé entraînent des conséquences en chaîne jusque dans le présent, et nous marquent à des titres et degrés divers, en fonction de nos liens proches ou lointains avec ceux qui les ont commis/ réalisés, ou encore ceux qui les ont subis ou qui en ont bénéficié, en fonction également de l'époque plus ou moins proche de ces actes; c'est une réalité factuelle, familiale, psychologique assez évidente s'agissant de faits et de conflits proches (2e guerre, Algérie, etc.); dans l'ordre spirituel, cela fait partie de la communion des saints, et aussi des pécheurs... (3) nous aider à poser un regard plus aiguisé sur le présent, et nos liens personnels avec les injustices de notre temps (s'agissant des formes d'esclavage ou de quasi-esclavage contemporaines, il ne faut pas faire un petit dessin...)
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Écrit par : j. warren / | 15/05/2014

@ j warren

> exact mais erreur sur le destinataire, votre commentaire doit être adressé à DV que je citais et auquel je posais une question
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Écrit par : E Levavasseur / | 15/05/2014

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